La course au mouton sauvage – Haruki Murakami

auteur
Haruki Murakami
Traductrice
Patrick de Vos
éditeur
Points
320 pages
ISBN
2020562286
1ère parution
1982
âge conseillé
à partir de 16 ans
Genre
Réalisme Magique
Quatrième de couverture
A Tokyo, un jeune cadre publicitaire mène une existence tranquille. Il est amoureux d’une jeune fille par fascination pour ses oreilles, est l’ami d’un correspondant qui refuse de lui donner son adresse pour de confuses raisons… jusqu’au jour où cette routine confortable se brise.
Pour avoir utilisé une photographie apparemment banale où figure un mouton, sa vie bascule. Menacé par une organisation d’extrême droite, il va se mettre en quête de cet animal particulier, censé conférer des pouvoirs supra-naturels.
L’écriture de Murakami, à mi-chemin entre réalisme et fantastique, par son inventivité et son humour, place ce roman dans un univers qui paraît ne rien devoir aux classiques japonais. Son auteur est sans aucun doute l’un des représentants les plus originaux de la littérature nippone contemporaine.
Mon expérience de lecture
Ah vous voyez ! Ce n’est pas moi qui divague, Murakami a un fantasme prononcé sur les oreilles des filles ! Cette fois, c’est carrément inscrit noir sur blanc sur la 4e de couverture.
Pardon pour cet égarement, je reprends…
La course au mouton sauvage est le premier roman dans lequel Haruki Murakami avoue avoir trouvé sa voix : ce réalisme magique teinté de fantastique malsain, émergeant au milieu de la routine de vies ordinaires.
Ce livre est le troisième dans la bibliographie de l’auteur (donc un texte de ses débuts) en même temps que le troisième d’un cycle de quatre romans indépendants (je n’ai pas lu les 3 autres, et cela ne pose aucun souci de compréhension. D’après ce que j’ai compris c’est une sorte de cycle avec des personnages communs, mais sans suivi d’une histoire à l’autre. Un peu comme mes textes Steampunk dans lesquels des personnages réapparaissent mais dont les histoires n’ont rien à voir entre elles.).
Même s’il s’agit d’un texte de l’auteur antérieur à ceux que j’ai pu déjà lire et chroniquer, hélas, celui-ci arrive dans mon expérience de lectrice après les autres.
Force est de constater que non seulement Haruki Murakami a trouvé sa voix, mais également son schéma type.
Un protagoniste (une fois encore, il a lu les Frères Karamazov), plutôt fade, mène une vie monotone au milieu d’un centre urbain hystérique. Puis, sans prévenir, l’extraordinaire émerge de ce terreau ordinaire. Cependant, ces événements et personnages plus qu’étranges ne perturberont pas outre mesure notre héros stoïcien. Il va poursuivre sa routine (qui ressemble à celle de n’importe qui sur Terre) et intégrer naturellement, sans se poser de questions, l’intrusion de ces personnages hauts en couleur dans sa vie.
Comme dans la plupart des premiers textes de Murakami, aucun personnage n’a d’identité. Tous sont dénommés par leur statut : girlfriend, leurs surnoms : le rat, leur fonction : le chauffeur…
Ici, Murakami nous parle de divorce, de photo et de la quête d’un mouton extraordinaire (qui possède l’âme des gens) pour une dangereuse organisation Tokyoïte occulte.
Oui, l’intrigue est bizarre. Mais l’auteur est bizarre lui aussi. Pour qui pratique un peu Murakami, le lecteur sait qu’il peut pousser très loin son délire.
Quelques belles trouvailles illuminent le récit. Néanmoins, certains points vont également le ternir. Malgré une écriture précise qui brosse des scènes faisant appel aux cinq sens, Murakami ouvre une fois de plus des pistes à tout va pour les abandonner. Purement et simplement.
Exemple : à quoi ça sert de préciser que le chauffeur connaît 32 décimales de Pi et possède le numéro de Dieu ? Pour jeter un pavé dans la mare ? Lui donner de la « substance » ?
Dans 1Q84, Murakami développait toute une réflexion autour du fusil de Tchekhov pour conclure que finalement, celui-ci ne sert pas toujours.
OK, je veux bien. Dans la vie, il peut se produire diverses rencontres ou événements qui resteront lettres mortes. Un passage anecdotique, oubliable et oublié.
Mais là, on nous raconte une histoire. Aucun des fusils qu’on nous accroche sous les yeux ne serait destiné à être utilisé ? Il y a un juste milieu à trouver. On ne peut pas lancer au lecteur des tonnes d’idées en vrac qui ne serviront jamais l’histoire. Il faut bien que quelques unes aient, à un moment, un impact sur l’intrigue. Surtout que toutes ces formidables idées jetées dans tous les sens, inexplorées, inexploitées, aboutissent à une fin décevante… Enfin, décevante… je dirais inexistante.
Forcément ! On avait plein de pistes ouvertes, on espérait quelques explications, un lien avec notre héros, ou ce fichu mouton, on tourne la page… on espère un nouveau chapitre… et en fait, non.
C’est fini. Plus d’idées. Point final. Murakami passe au livre suivant.
Ce côté expédié me pose beaucoup question en tant qu’autrice. À aucun moment je ne me permettrais de remettre en cause le talent d’Haruki Murakami en matière de conteur, ce serait hypocrite de ma part car en dépit de ses défauts, j’aime lire cet auteur et j’apprécie toujours de retrouver sa patte unique et son style déroutant – dérangeant même. Mais quand je vois son succès, à quel point il est porté aux nues, désigné depuis des années comme potentiellement nobélisable, je me demande si les lecteurs me pardonneraient à moi, autrice inconnue, peu diffusée, peu lue, autant de failles dans mes récits…

Mon avis
L’écriture de Murakami suffit à nous maintenir jusqu’à la dernière page malgré un postulat de départ pas très palpitant.
C’est étrange. C’est peut-être ça la force de son talent. Arriver à accrocher le lecteur là où il ne semble y avoir aucune prise, et réussir l’exploit de nous faire revenir, en dépit de ses conclusions insipides.
Je vais toutefois tâcher de rester objective dans mon avis sur ce dernier texte.
Bien écrit, comme tous les autres. Des personnages hauts en couleur, comme tous les autres. Des descriptions splendides et métaphores créatives, comme tous les autres. Rien à redire sur ces points. Mais, je ne sais pas, il s’agit néanmoins du texte de l’auteur avec lequel j’ai eu le moins d’atomes crochus : une fin encore plus abyssale que les autres laissant un sentiment d’inachevé – voire de bâclé –, des intrigues annexes qui partent vraiment dans tous les sens sans but ni repères, encore plus que dans les autres.
Bref, je ressors très mitigée de cette – pourtant courte – lecture et ne la conseillerais pas pour découvrir l’écriture d’Haruki Murakami. Il y a son style, sa patte, mais cela est bien naissant. L’ensemble manque de cohésion. Comme si les pièces éparpillées au fil des chapitres n’appartenaient pas au même puzzle. On se retrouve avec un gros « what the fuck ? » en refermant le roman.
Cette fois, c’est bon, je passe à autre chose. Même mes chroniques finissent par se ressembler, tant je ne discerne que les similitudes des romans durant mes lectures. Je me saoule moi-même. J’ai consommé assez de nourriture murakamienne pour l’instant. Je dois digérer mon festin de mots (3720 pages du même auteur en un peu plus d’un mois !) pour retrouver avec plaisir la plume du maître, en temps voulu… d’ici quelques années.
Verdict
