Réalisme Magique

La course au mouton sauvage – Haruki Murakami

La course au mouton sauvage – Haruki Murakami

auteur

Haruki Murakami

Traductrice

Patrick de Vos

éditeur

Points
320 pages

ISBN 

2020562286

1ère parution

1982

âge conseillé

à partir de 16 ans

Genre

Réalisme Magique

Quatrième de couverture

A Tokyo, un jeune cadre publicitaire mène une existence tranquille. Il est amoureux d’une jeune fille par fascination pour ses oreilles, est l’ami d’un correspondant qui refuse de lui donner son adresse pour de confuses raisons… jusqu’au jour où cette routine confortable se brise.

Pour avoir utilisé une photographie apparemment banale où figure un mouton, sa vie bascule. Menacé par une organisation d’extrême droite, il va se mettre en quête de cet animal particulier, censé conférer des pouvoirs supra-naturels.

L’écriture de Murakami, à mi-chemin entre réalisme et fantastique, par son inventivité et son humour, place ce roman dans un univers qui paraît ne rien devoir aux classiques japonais. Son auteur est sans aucun doute l’un des représentants les plus originaux de la littérature nippone contemporaine.

Mon expérience de lecture

Ah vous voyez ! Ce n’est pas moi qui divague, Murakami a un fantasme prononcé sur les oreilles des filles ! Cette fois, c’est carrément inscrit noir sur blanc sur la 4e de couverture.


Pardon pour cet égarement, je reprends…

La course au mouton sauvage est le premier roman dans lequel Haruki Murakami avoue avoir trouvé sa voix : ce réalisme magique teinté de fantastique malsain, émergeant au milieu de la routine de vies ordinaires.

Ce livre est le troisième dans la bibliographie de l’auteur (donc un texte de ses débuts) en même temps que le troisième d’un cycle de quatre romans indépendants (je n’ai pas lu les 3 autres, et cela ne pose aucun souci de compréhension. D’après ce que j’ai compris c’est une sorte de cycle avec des personnages communs, mais sans suivi d’une histoire à l’autre. Un peu comme mes textes Steampunk dans lesquels des personnages réapparaissent mais dont les histoires n’ont rien à voir entre elles.).

Même s’il s’agit d’un texte de l’auteur antérieur à ceux que j’ai pu déjà lire et chroniquer, hélas, celui-ci arrive dans mon expérience de lectrice après les autres.


Force est de constater que non seulement Haruki Murakami a trouvé sa voix, mais également son schéma type.


Un protagoniste (une fois encore, il a lu les Frères Karamazov), plutôt fade, mène une vie monotone au milieu d’un centre urbain hystérique. Puis, sans prévenir, l’extraordinaire émerge de ce terreau ordinaire. Cependant, ces événements et personnages plus qu’étranges ne perturberont pas outre mesure notre héros stoïcien. Il va poursuivre sa routine (qui ressemble à celle de n’importe qui sur Terre) et intégrer naturellement, sans se poser de questions, l’intrusion de ces personnages hauts en couleur dans sa vie.

Comme dans la plupart des premiers textes de Murakami, aucun personnage n’a d’identité. Tous sont dénommés par leur statut : girlfriend, leurs surnoms : le rat, leur fonction : le chauffeur

Ici, Murakami nous parle de divorce, de photo et de la quête d’un mouton extraordinaire (qui possède l’âme des gens) pour une dangereuse organisation Tokyoïte occulte.


Oui, l’intrigue est bizarre. Mais l’auteur est bizarre lui aussi. Pour qui pratique un peu Murakami, le lecteur sait qu’il peut pousser très loin son délire.


Quelques belles trouvailles illuminent le récit. Néanmoins, certains points vont également le ternir. Malgré une écriture précise qui brosse des scènes faisant appel aux cinq sens, Murakami ouvre une fois de plus des pistes à tout va pour les abandonner. Purement et simplement.

Exemple : à quoi ça sert de préciser que le chauffeur connaît 32 décimales de Pi et possède le numéro de Dieu ? Pour jeter un pavé dans la mare ? Lui donner de la « substance » ?

Dans 1Q84, Murakami développait toute une réflexion autour du fusil de Tchekhov pour conclure que finalement, celui-ci ne sert pas toujours.

OK, je veux bien. Dans la vie, il peut se produire diverses rencontres ou événements qui resteront lettres mortes. Un passage anecdotique, oubliable et oublié.
Mais là, on nous raconte une histoire. Aucun des fusils qu’on nous accroche sous les yeux ne serait destiné à être utilisé ? Il y a un juste milieu à trouver. On ne peut pas lancer au lecteur des tonnes d’idées en vrac qui ne serviront jamais l’histoire. Il faut bien que quelques unes aient, à un moment, un impact sur l’intrigue. Surtout que toutes ces formidables idées jetées dans tous les sens, inexplorées, inexploitées, aboutissent à une fin décevante… Enfin, décevante… je dirais inexistante.

Forcément ! On avait plein de pistes ouvertes, on espérait quelques explications, un lien avec notre héros, ou ce fichu mouton, on tourne la page… on espère un nouveau chapitre… et en fait, non.


C’est fini. Plus d’idées. Point final. Murakami passe au livre suivant.


Ce côté expédié me pose beaucoup question en tant qu’autrice. À aucun moment je ne me permettrais de remettre en cause le talent d’Haruki Murakami en matière de conteur, ce serait hypocrite de ma part car en dépit de ses défauts, j’aime lire cet auteur et j’apprécie toujours de retrouver sa patte unique et son style déroutantdérangeant même. Mais quand je vois son succès, à quel point il est porté aux nues, désigné depuis des années comme potentiellement nobélisable, je me demande si les lecteurs me pardonneraient à moi, autrice inconnue, peu diffusée, peu lue, autant de failles dans mes récits…

photo E.R. Link – © janvier 2022

Mon avis

L’écriture de Murakami suffit à nous maintenir jusqu’à la dernière page malgré un postulat de départ pas très palpitant.

C’est étrange. C’est peut-être ça la force de son talent. Arriver à accrocher le lecteur là où il ne semble y avoir aucune prise, et réussir l’exploit de nous faire revenir, en dépit de ses conclusions insipides.

Je vais toutefois tâcher de rester objective dans mon avis sur ce dernier texte.

Bien écrit, comme tous les autres. Des personnages hauts en couleur, comme tous les autres. Des descriptions splendides et métaphores créatives, comme tous les autres. Rien à redire sur ces points. Mais, je ne sais pas, il s’agit néanmoins du texte de l’auteur avec lequel j’ai eu le moins d’atomes crochus : une fin encore plus abyssale que les autres laissant un sentiment d’inachevé – voire de bâclé –, des intrigues annexes qui partent vraiment dans tous les sens sans but ni repères, encore plus que dans les autres.

Bref, je ressors très mitigée de cette – pourtant courte – lecture et ne la conseillerais pas pour découvrir l’écriture d’Haruki Murakami. Il y a son style, sa patte, mais cela est bien naissant. L’ensemble manque de cohésion. Comme si les pièces éparpillées au fil des chapitres n’appartenaient pas au même puzzle. On se retrouve avec un gros « what the fuck ? » en refermant le roman.

Cette fois, c’est bon, je passe à autre chose. Même mes chroniques finissent par se ressembler, tant je ne discerne que les similitudes des romans durant mes lectures. Je me saoule moi-même. J’ai consommé assez de nourriture murakamienne pour l’instant. Je dois digérer mon festin de mots (3720 pages du même auteur en un peu plus d’un mois !) pour retrouver avec plaisir la plume du maître, en temps voulu… d’ici quelques années.


Verdict

Réalisme Magique

Chroniques de l’oiseau à ressort – Haruki Murakami

Chroniques de l’oiseau à ressort – Haruki Murakami

auteur

Haruki Murakami

Traductrices

Corinne Atlan Karine Chesneau

éditeur

Points
864 pages

ISBN 

2020686252

1ère parution

1994

âge conseillé

à partir de 16 ans

Genre

Réalisme magique

Quatrième de couverture

Le jour où sa femme disparaît inexplicablement, la vie de Toru Okada bascule – et emporte avec elle les repères du monde. C’est dans une réalité qui s’enfuit sous d’excentriques mirages que le jeune homme s’éveille un matin. Un théâtre d’ombres débutant par de mystérieux coups de téléphone, et où se croisent peu à peu des êtres déroutants, inclassables, aux confins d’un univers guidé par le chant d’un oiseau à ressort…

« Haruki Murakami crée des univers dont on est aussitôt prisonnier… Le charme opère : on est absorbé par cette lecture qui tient du manga et de l’uchronie, mais aussi et surtout par une atmosphère qui n’appartient qu’à Murakami. » Amélie Nothomb, Le Monde des Livres.

Mon expérience de lecture

Accro au style Murakami, j’enchaîne les titres avec insatiabilité. Me revoilà donc perdue dans un nouveau texte, comme une boulimique sur un paquet de cacahuètes. Oh ! Il en reste encore une ? Et encore une ? Bon, je commence à avoir le bide qui se tord, mais le sachet est presque fini, ce serait dommage de laisser ça…

Bref, vous l’avez compris, les Chroniques de l’oiseau à ressort ont suivi La Fin des temps, Profession romancier et les 3 tomes d’1Q84. Ça commence à chiffrer. Mais pas assez pour m’arrêter. J’ai une tendance jusqu’au-boutiste. Tant que la nausée m’épargnera, je continuerai.


Toru Okada est un jeune homme au chômage, marié, vivant une vie tranquille dans un petit pavillon de la banlieue Tokyoïte. Comme la plupart des héros de Murakami, il va se retrouver au cœur d’une réalité alternative, suite à la perte de son chat – pour débuter –, puis de son épouse.

Sa recherche le conduira à côtoyer une galerie de personnages étranges, loufoques, parfois nocifs, souvent violents (attention des scènes choquantes ou dérangeantes sont présentes au fil du récit) aux intentions absconses et aux comportements ambigus. Nous retrouvons à ce propos, un personnage qui sera présent dans 1Q84.


Dépassé par les événements, Toru Okada apprendra à se recentrer, à redécouvrir l’essentiel, et surtout à se découvrir lui-même.


Encore une fois, Haruki Murakami floute les frontières entre rêve et réalité, souvenirs et rêve, souvenirs et réalité, mêle le fantastique au réel… Le réel au fantastique… les personnages flottent d’un monde à l’autre sous les yeux désabusés de notre héros qui, pour mieux appréhender les événements autour de lui, devra élargir sa vision du monde afin de naviguer lui aussi au milieu des chemins étranges tracés devant lui.

Toru est finalement si ordinaire, que le lecteur s’identifie très facilement à ce personnage. J’ai ainsi fini par me perdre dans les jonctions et bifurcations des pistes que Murakami ouvrait pour déboucher, bien souvent, au sommet de falaises sombrant dans le néant. Car, une fois encore, Haruki Murakami lance une foule d’intrigues qui resteront inexplorées.

Toutefois, si on veut apprécier l’univers de Murakami, en tant que lecteur, nous aussi devons apprendre à nous recentrer et à lâcher prise. Nous devons suivre les traces de Toru et élargir à notre tour notre vision du monde. Certaines choses ne peuvent et ne doivent pas être expliquées. Elles sont.


Il faut accepter de ne pas avoir de réponse, de se laisser bercer par la musicalité des mots sans trop savoir où l’on va, ni chercher à comprendre.


Reste alors la quintessence du récit, les détails si profondément humains qui exsudent du texte, au fil des anecdotes que Murakami nous livre.

Photo E.R. Link – © janvier 2022

Mon avis

Pour tous ceux qui apprécient l’auteur, ce livre représente une des pierres angulaires de son œuvre avec Kafka sur le rivage. Le réalisme magique imprègne chaque mot du récit, chaque action des personnages, et nous pénétrons toujours plus profondément l’univers unique de Murakami, comme Toru plonge dans son puits.

Très honnêtement, il s’agit d’un bon texte d’Haruki Murakami, fidèle à sa patte, mais là je commence à saturer. En 3 semaines, j’ai avalé 3 400 pages du maître. Autant dire que l’indigestion me guette.

Malgré ses grandes qualités littéraires , les petits tics de l’écrivain me sautent à la figure.
Tous ses héros ont lu les Frères Karamazov (je vous jure, c’est systématique !).
Toutes les filles désirables ont de belles oreilles (c’est quoi ce fantasme chelou, M. Murakami ? Bon, en même temps, un fantasme c’est toujours chelou, me direz-vous).
Tous ses personnages éprouvent un besoin bizarre d’énumérer les marques qu’ils consomment, des vêtements aux cigarettes, en passant par les boissons.
Si le décor des récits reste Tokyo et le Japon, les musiques, les films, les marques sont très occidentales. Parfois, je me demande si ça se passe vraiment au Japon. On pourrait remplacer Tokyo par New-York, l’intrigue n’en serait pas spécialement perturbée.
De plus, cette manie que Murakami a de laisser la moitié de ses intrigues en suspens, ou de bâcler ses fins commence à me chiffonner.

Attention. J’aime toujours l’imagination foisonnante de Murakami, son talent de la comparaison et des métaphores, l’onirisme malsain qui se dégage de ses mots. C’est juste qu’après 3 400 pages, je le vois venir à 10 kilomètres.

Cependant, soyons honnête, en dépit des petits travers qui m’ont titillée et qu’un autre lecteur n’aura pas relevé (car n’aura pas enchaîné au même rythme la même quantité de texte), j’ai apprécié ma lecture. Le style de Murakami a ce je ne sais quoi d’envoûtant qui vous retient prisonnier de ses pages dès que l’on est entré dans le récit.

Bref, une drogue restant une drogue, je sais déjà que je vais consommer un autre livre de l’auteur. Encore un… Juste histoire de tester la résistance de mon système digestif.

C’est aussi ça la magie (ou le mystère) Murakami : son déroutant pouvoir addictif.


Verdict

Réalisme Magique

1Q84 – Haruki Murakami

1Q84 – Haruki Murakami

auteur

Haruki Murakami

Traductrices

Hélène Morita
Yoko Miyamoto

éditeur

Belfond
1632 pages

ISBN 

#1 2714447074
#2 2714449840
#3 2714449859

1ère parution

2009

âge conseillé

Adulte averti
(sexualité crue)

Genre

Réalisme magique

Quatrième de couverture

Le passé – tel qu’il était peut-être – fait surgir sur le miroir l’ombre d’un présent – différent de ce qu’il fut ?

Un événement éditorial sans précédent
Un roman d’aventures
Une histoire d’amour
Deux êtres unis par un pacte secret

Dans le monde bien réel de 1984 et dans celui dangereusement séduisant de 1Q84 va se nouer le destin de Tengo et d’Aomamé…

Mon expérience de lecture

Le problème, avec Murakami, c’est qu’une fois un de ses livres refermé, les engrenages de l’addiction se mettent à jouer dans nos entrailles jusqu’à nous contraindre à en ouvrir un nouveau. Même si je n’ai pas sauté au plafond à la lecture de La Fin des temps, le manque brutal du style, des mots de Murakami m’ont poussée à m’engager dans un cycle autour de l’auteur (jusqu’à l’overdose, comme vous le découvrirez au fil des prochaines chroniques – avis de spoil ! Oups… trop tard… Fallait le dire avant…).

Atteinte donc d’une sorte de boulimie, j’enchaîne avec 1Q84, l’un des plus gros best-sellers d’Haruki Murakami en terme de ventes autant que de pages (3 tomes à la suite, soit 1632 pages d’affilée – non, je ne la ramènerai pas, vu la perspective du nombre de pages total des 3 tomes d’Arkania. Ce serait vraiment l’aveugle qui blâmerait la mauvaise vue du borgne !).

Ah, on est en manque ou on ne l’est pas, mon bon lecteur !

Ayant englouti en un mois 5 textes d’Haruki Murakami, aux thèmes proches de par leur genre, aux personnages souvent sans nom, aux petits tics d’écrivain redondants d’un livre à l’autre, j’espère ne pas m’embrouiller entre les intrigues pour vous rédiger cette chronique (et les prochaines).
C’est ça le problème d’enchaîner le même auteur sur une courte période.

On finit par accumuler ses mécanismes, ses obsessions, ses fantasmes, ses travers, dans un sac mental que l’on secoue si bien qu’il est parfois ardu de se rappeler de quel ouvrage est tiré tel passage.

Pardon d’avance si quelques détails d’un autre titre se glissaient accidentellement dans la mauvaise chronique.


Comme pour La Fin des temps, le récit alterne 2 voix dans les 2 premiers tomes : celles d’Aomamé et celle de Tengo, auxquelles s’ajoutera une troisième dans le dernier tome (un personnage auquel Murakami semble s’être curieusement amouraché, puisque déjà présent dans les Chroniques de l’oiseau à ressorts).

Tout semble séparer Aomamé et Tengo. Bien qu’habitant tous deux à Tokyo, ils ne vivent pas dans le même monde :
celui d’une masseuse aux doigts magiques qui se mue en tueuse à gages la nuit pour Aomamé.
celui d’un écrivain qui n’a encore publié aucun texte, en dépit de son talent, pour Tengo.


Évidemment, leurs voix et leurs histoires vont s’entremêler par un biais extraordinaire (sinon il n’y aurait pas d’intérêt à rédiger 1600 pages en alternant ces personnages).


Tous deux perdus dans une autre réalité – le monde qu’Aomamé nomme 1Q84 –, pourtant à quelques détails près semblable à la nôtre – du moins celle de 1984, année où démarre le récit –, ils vont effectuer un voyage spirituel dans le vécu de leur enfance.

C’est au plus profond de leur subconscient qu’ils seront invités à se rejoindre, leur enfance les ayant déjà liés physiquement.

Au milieu d’un quotidien banal, surgira l’effrayante magie, nichée dans les recoins et les personnages les plus inattendus.


Le voyage allégorique de l’un va empiéter sur la vie de l’autre. Le passé de Tengo s’imbriquera dans celui d’Aomamé, tout comme celui d’Aomamé trouvera corps à travers les expériences étranges, à la limite du fantastique que rencontrera Tengo.


C’est la lente construction de l’être que nous conte Murakami, le deuil de l’enfance et de nombre de ses traumatismes, mais aussi à travers la quête de ce qui se révélera essentiel : l’amour.

 Photo E.R. Link – © janvier 2022

Mon avis

Comme pour La Fin des temps, il m’a fallu un certain temps avant d’entrer pleinement dans le récit. Même si, cette fois, les deux voix sont plus claires, et que leur lien intervient assez rapidement.

J’ai comme toujours adoré le style addictif de Murakami et ce talent incroyable qu’il possède en matière de comparaisons. Ma mémoire conserve la mélodie harmonieuse de certaines phrases, composées comme une symphonie (ou une Sinfonieta – clin d’œil à qui plongera dans l’aventure).

Quelques bémols toutefois. J’ai parfois le sentiment que Murakami écrit trop en roue libre. Beaucoup de pistes narratives sont lancées, mais ne sont au final pas exploitées, ce qui amène le lecteur à se demander où il voulait en venir.

Tout comme la sensation d’inachevé une fois atteint le terme du roman. Comme si Murakami arrêtait son histoire une fois son imagination tarie.

Si la magie et le fantastique surgissent de façon débridée et inattendue dans ses textes, ses fins arrivent de même. En plein milieu d’un paragraphe. Sans réelle conclusion.

En revanche, attention à l’âge du lectorat ! De nombreuses scènes de sexe très crues sont présentes au fil du roman (dont une qui m’a choquée, je le reconnais. Enfin, choquée est peut-être un peu fort. Disons une scène malaisante – il paraît qu’on a le droit d’utiliser ce mot à présent, donc je m’en saisis comme d’un nouveau jouet). À ne pas mettre entre toutes les mains.

Je ne suis pas certaine que je recommanderais cette lecture pour débuter avec Murakami. Je l’adresserais plutôt à un public déjà initié à son univers. Commencez par La Fin des temps ou Kafka sur le rivage, si vous désirez découvrir l’ambiance Ghibli glauque qui émane de l’œuvre d’Haruki Murakami.


Verdict

Réalisme Magique

La Fin des temps – Haruki Murakami

La Fin des temps – Haruki Murakami

auteur

Haruki Murakami

Traductrice

Corinne Atlan

éditeur

10/18
696 pages

ISBN 

2264076542

1ère parution

1985

âge conseillé

Adulte

Genres

Science-fiction
Réalisme Magique

Quatrième de couverture

Une promenade entre deux mondes, aux frontières du réel et du merveilleux.

Dans une petite cité spectrale vivent des gens privés d’ombre et de sentiments. Parmi eux, un nouveau venu a pour tâche de lire les « vieux rêves » dans des crânes de licornes, attrapant des fragments de mémoire d’une autre vie, d’une autre dimension.
En parallèle, dans un Tokyo futur, ascétique et déshumanisé, un homme est entraîné par un scientifique dans une dangereuse expérience qui le fera plonger dans les sous-sols de la ville, animés de créature monstrueuses.

Est-ce là que se trouve la clé de l’énigme ? La solution du mystère qui lie ces deux mondes ?

La Fin des temps est le quatrième roman de Haruki Murakami, où se mêlent délicieusement, avec humour et poésie, deux mondes entre réel et merveilleux, le « Pays des merveilles sans merci » et la « Fin du monde »…

Mon expérience de lecture

Vivant un deuil intense depuis la pose du point final du tome 2 de mon conte d’Arkania, épuisée par quatre années de travail acharné sur le roman, je me sentais vide de mots, vide de mondes, vide de personnages. Il me fallait remplir à nouveau le puits de mon inspiration avant de démarrer la conclusion de ma saga de science-fiction.

Comment se nourrit mon imagination ? Comment je retrouve les ressources nécessaires pour me confronter à nouveau au néant de la page blanche ? En lisant. Tout simplement.

En lisant des textes qui me ressemblent, autant dans le style, que dans les thèmes, et La Fin des temps résonnait d’un irrépressible écho en moi avec sa double narration, ses deux mondes, ses expériences scientifiques scabreuses, sa promesse de créatures monstrueuses.

L’occasion rêvée de retrouver Haruki Murakami et son univers empreint de réalisme magique si particulier.


Voilà plusieurs années que j’avais découvert l’auteur au fil des pages de Kafka sur le rivage. Rarement un auteur m’aura autant immergée dans son imaginaire, aussi violent que poétique, d’un cruel onirisme, mais toujours teinté d’une douce magie qui confine au fantastique – voire au fantasque.

Dans La Fin des temps, premier roman long de l’auteur, deux mondes se relaient : le Pays des Merveilles Sans merci et la Fin du Monde (dont la juxtaposition forme le titre original de l’œuvre en Japonais), jusqu’à s’entrelacer.

Si, dans les premiers chapitres, il est parfois difficile de s’y retrouver entre deux narrateurs sans nom qui racontent chacun leur tour à la première personne leur expérience dans leur univers, le ton lui, est directement lancé :

Notre premier héros est accompagné par une jeune femme en rose, dont le son de la voix a été coupé, comme celui d’une télévision ou d’une radio.

Notre second protagoniste, quant à lui, doit perdre le Soleil et décrocher son ombre afin de pénétrer dans le monde qui s’ouvre devant lui.


Murakami lâche les rennes de son imagination. Sans préavis. Un novice de l’auteur pourra se trouver déstabilisé, là où les initiés retrouveront avec plaisir sa plume baroque.


Dans le Pays des Merveilles Sans Merci, le Tokyo que nous rencontrons est purement imaginaire. Notre narrateur, programmeur de son métier, utilise son cerveau comme un ordinateur grâce à un implant afin d’encoder les données secrètes d’un professeur excentrique, vivant dans une grotte, entouré de crânes. Toutefois, malgré l’aspect Cyperpunk de ce volet du récit, le quotidien de notre héros ressemble étrangement au nôtre, son appartement ressemble au nôtre, ses goûts musicaux nous sont familiers, les marques de ses vêtements et de ses boissons également.

Dans la Fin du Monde, le second narrateur évolue dans une structure plus dystopique, teintée de Merveilleux. Privé de lumière et de mémoire, il devient un liseur de rêves dans la bibliothèque de la ville.


Bref, comme souvent avec Murakami, l’extraordinaire se niche dans l’ordinaire, tout comme l’ordinaire émerge de l’extraordinaire, ce qui fait son originalité.


J’ai éprouvé, je l’avoue, quelques difficultés à rentrer dans l’histoire lors des premiers chapitres. Certains sont inégaux en terme de rythme et d’intérêt et beaucoup de descriptifs (oui, l’hôpital qui se fout de la charité, je sais) notamment avec des noms de marques à tout va, ont pu me faire tiquer. Parfois, je me demandais si Murakami écrivait sous sponsor et qu’il devait effectuer un certain nombre de placement produits.

Cependant, le style de Murakami reste absolument addictif.

Si j’ai peiné à tourner les premières pages, rapidement, le style poétique de l’auteur m’a entraînée dans ses deux barques, jusqu’à ce que je ne puisse plus arrêter de lire, prise de boulimie.

Bizarrement, ce ne sont pas les révélations qui m’ont surprises, car j’en avais deviné la plupart avant qu’elles ne surviennent, mais plutôt cette capacité que Murakami a d’accrocher son lecteur pour ne plus le lâcher.

Son imagination est si riche, si foisonnante, qu’elle est véritablement le twist du livre, bien au-delà de l’intrigue, finalement assez simple à dénouer et dérouler.

Photo E.R. Link – © janvier 2022

Mon avis

En dépit d’un début qu’il m’a fallu apprivoiser, une fois entrée dans le livre, malgré ses longueurs, malgré son aspect décousu, le roman se révèle addictif.

Murakami, au-delà de l’histoire, touche à des thèmes universels en pénétrant directement le subconscient du lecteur, afin de lui faire vivre son expérience de lecture comme celle d’un rêve (ou d’un cauchemar).

Si, en toute honnêteté, j’ai préféré Kafka sur le rivage, je ne regrette absolument pas cette lecture. Des retrouvailles avec Haruki Murakami si réussies pour ma part qu’elles ont entraîné, comme vous le constaterez, un cycle de lecture autour de cet auteur.


Verdict